1 Rappels historiques et théoriques
1.1 Contexte historique
Avec l'expérience de J.J. Thomson, nous plongeons dans une des époques les plus bouillantes et passionnantes de l'histoire de la physique. En effet, en l'espace d'une cinquantaine d'années à peine, se succèdent d'importantes découvertes et théories, qui pour certaines d'entre elles, ont véritablement révolutionné le paysage de la science physique à cette époque. Si, vers 1850, J.C. Maxwell scelle définitivement dans son « Traité d'électricité et de magnétisme» la réunion ... de l'électricité et du magnétisme, la période qui suivra verra éclore diverses tentatives de concilier la théorie maxwellienne de l'électricité avec celle beaucoup plus ancienne de la mécanique. Le moins que l'on puisse dire, c'est que ceux deux-ci ne feront pas bon ménage.
En 1888, Hertz parvient à l'aide de circuits électriques oscillants, à produire des ondes électromagnétiques, couronnant ainsi l'oeuvre du génial physicien anglais. Mais cette grande découverte aura en outre le mérite de relancer une ardente discussion sur la propagation de ces ondes dans l'espace. Car la physique à cette époque est encore fort imprégnée de l'esprit cartésien et sa tendance à ramener à une explication « mécaniste » tout phénomène nouveau que le physicien trouve sur sa route.
Pour rappel, un adepte du mécanisme considérera une théorie pleinement aboutie lorsque celle-ci fournira une explication du phénomène étudié en termes de matière, figure et mouvement. Le rôle du chercheur est de déceler les ressorts mécaniques qui se cachent derrière la réalité physique. L'acoustique, par exemple, est une des théories qui bénéficient le plus d'un tel point de vue. La propagation du son se ramène à des vibrations, donc des mouvements se propageant dans un milieu élastique. La propagation des ondes électromagnétiques, donc en particulier la lumière, impose donc dès le départ l'existence d'un milieu « élastique » à travers lequel les oscillations électriques peuvent évoluer : l'éther. L'espérance des physiciens de cette fin de siècle est en gros une synthèse de notre science, basée sur l'éther et l'électron, découvert en 1897 par J.J. Thomson. On parle même d'une « reconstruction complète de la dynamique sur des bases électromagnétiques ».
Le grand problème survient lorsque, au cours de manipulations extrêmement précises, Michelson montre la « non-existence » du mouvement relatif entre l'éther, pris comme système de référence particulier et notre planète. Ce qui pousse Lorentz, physicien hollandais auteur de théories sur l'éther, à revoir sa copie, poussé en cela par Poincaré en France et à repenser un des principes auxquels tout physicien est naturellement attaché, à savoir celui-ci de la relativité. - on l'oublie souvent mais Lorentz a été le premier à invoquer une contraction des longueurs, indispensable pour expliquer le résultat négatif de l'expérience de Michelson. Cette contraction résultait d'une interaction entre la matière (les bras de l'interféromètre) et l'éther.- La loi de transformation de Lorentz, qui dans un premier temps, s'avère être un moyen purement mathématique tentant de réconcilier électromagnétisme et mécanique, qui, décidément ne s'entendent pas, prendra alors toute sa consistance grâce aux élucubrations d'un physicien suisse en 1905.
Voilà en une page le contexte dans lequel se réalise l'expérience de Thomson. Celle-ci fait suite à une autre grande découverte de ce demi-siècle : celle de l'électron. Fameuse avancée, car jusqu'il y a peu, le concept d'atome était encore très proche de la signification que lui donne son étymologie. D'ailleurs, en 1904, le nouveau modèle atomique de Thomson (« plum-pudding ») a encore des opposants, qui émettent de sérieux doutes sur l'introduction dans sa théorie de « particules aussi hypothétiques que les électrons » (refrain encore bien connu à notre époque ...). La date de cette découverte, 1897, donne aussi à réfléchir sur le fait l'électricité reste jusque là quelque chose de bien mystérieux, ce qui est surprenant quand on pense à la multitude de choses que les scientifiques ont mis au point. Pensons aux piles, à l'électrolyse des chimistes, les circuits électriques si utiles à Oersted, Ampère, Hertz, ... Jusque là, l'électricité est un peu considérée comme une qualité "occulte" (au sens aristotélicien du mot) de la matière. Pensons par exemple au concept typiquement métaphysique de la "vertu pesante des corps". Thomson apporte en quelque sorte le « fin mot » d'une histoire qui dure depuis plus d'un siècle. On voit donc toute l'importance de cette découverte pour les physiciens de cette période, à tel point que pour les plus enthousiastes d'entre eux, la science physique arrivait pratiquement à une synthèse ultime de toutes les théories ...