PRISE EN CHARGE DE L'ANKYLOSE DU GENOU
H. Lu
Traduit et adapté par Ph. Bovier-Lapierre - Lyon
Au cours des 12èmes Journées Lyonnaises de Chirurgie du Genou (et
2ème Cours Européen de Chirurgie Orthopédique du Genou), le professeur
Lu a rapporté son expérience exceptionnelle dans la prise en charge des
ankyloses du genou.
Il a opéré et suivi, entre 1987 et 2005, 47 genoux atteints d’ankylose.
Beaucoup de ces patients avaient une atteinte multi articulaire si
bien que l’on pouvait les comparer à des statues de terre cuite.
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La célèbre armée de terre cuite. Mausolée de Shihuangdi à Lintong, province de Shaanxi |
Revue de la littérature
Vu la rareté de la pathologie, les séries sont peu nombreuses et
comportent peu de malades. L’équipe du Peking University Arthritis
Institute possède dans ce domaine une expérience considérable puisque
31 patients et 47 genoux ont étés opérés.
Il s’agissait toujours de genoux fusionnés en flexion ou en extension avec un arc de mobilité de 0°(tableau 1).
TABLEAU 1 |
Auteur | Année | Cas | Amplitudes pré op | Amplitudes post op |
Mullen.JO | 1983 | 2 genoux | 10º-10º-0º 0º-0º-0° | 0º-60º 0º-95º |
Bradley | 1987 | 9 genoux | Moyenne 26° | Moyenne 64º (15º-90º) |
Naranja | 1996 | 37 genoux | 0º | 7º-62º |
Kim.YH | 2000 | 32 genoux 14(arthrodèses) 16(spontanées) | 0º | 8º-76º |
Henkel.TR | 2001 | 7 genoux (voie externe + ostéotomie TTA) | 0º (55º-90º) | Moyenne 74º |
Ankyloses en flexion
Matériel et méthodes
23 patients et 32 genoux ont été opérés entre 1987 et 2005. Le suivi moyen était de 8,4 ans (1 à 19).
Les genoux étaient fixés (amplitudes articulaires de 0º) en flexion avec une moyenne de 46,5° (15° à 95°).
L’origine de l’ankylose était variable (10 patients avaient une
spondylarthrite ankylosante, 11 une polyarthrite rhumatoïde, on note 1
cas d’hémophilie et un cas de rhumatisme psoriasique.
Bien souvent, il s’agissait de gestes bi latéraux et parfois
associés à d’autres gestes d’arthroplastie (hanche, cheville…) (tableau
2).
TABLEAU 2 |
Etiologie | Patient | Genoux |
Spondylarthite ankylosante | 10 | 18 |
Polyarthrite rhumatoïde | 11 | 14 |
Hemophilie | 1 | 2 |
Rhumatisme psoriasique | 1 | 2 |
Résultats
Les patients ont été considérablement améliorés avec pour certains
des résultats spectaculaires. L’arc de mobilité post opératoire moyen
était de 72.5° (45 à 100), un gain de 47.6 points a été observé sur le
score IKS genou. Au dernier recul, on notait un déficit d’extension
moyen de 7,8° avec des valeurs comprises entre 0° et 15° (tableau 3).
TABLEAU 3 |
| Pré op | Dernier recul |
ROM | 0° | 72,5° (45° – 100°) |
Score IKS genou | 30,9 | 78,5 |
Flexum |
| 7,8° (0°-15°) |
Complications
On note dans la série une fracture supra condylienne per opératoire et deux sepsis tardifs (à 9 et 11 ans).
Ankyloses en extension
Matériel et méthodes
Huit patients été opérés pour des raideurs avec un genou fixé en extension.
Les arthroplasties ont été réalisées sur 9 genoux au cours d’une
période allant de 1987 à 2005. Le suivi moyen était de 40 mois.
L’étiologie des ankyloses est exposée dans le tableau 4.
TABLEAU 4 |
Etiologie | Patient | Genoux |
Spondylarthite ankylosante | 1 | 2 |
Polyarthrite rhumatoïde | 3 | 3 |
Arthrite tuberculeuse | 1 | 2 |
Ankylose Post synovectomie | 3 | 3 |
Résultats
Les résultats étaient encore meilleurs avec un arc de mobilité post
opératoire moyen de 88,9°, le score IKS genou a été amélioré en moyenne
de 37.3 points et le score IKS fonction de 62.2 points. Deux genoux
avaient un flexum résiduel
(5 et 25°) (tableau 5).
TABLEAU 5 |
| Pré op | Dernier recul |
Amplitudes articulaires | 0° | 88,9° |
Score IKS genou | 44,1 | 81,4 |
Score IKS fonction | 17,2 | 79,4 |
Flexum |
| 2 genoux (5° et 25°) |
Complications
On note 2 avulsions du tendon rotulien (complication à redouter), 1 hématome et une infection superficielle.
Technique chirurgicale
Dans l’abord, le relèvement de la TTA n’est pas systématique.
Le Pr. LU insiste beaucoup sur la qualité de l’exposition qui est pour lui la clé de l’intervention.
Séparation de l’articulation femoro patellaire en préservant au maximum le capital osseux rotulien (schéma 1, figure 1).
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Schéma 1, figure 1 |
Luxation de la rotule en protégeant le tendon rotulien en particulier dans les ankyloses en extension (figure 2).
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Figure 2 |
Séparation de l’articulation femoro tibiale et réalisation des coupes (schéma 2, figure 3).
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Schéma 2, figure 3 |
Dans les ankyloses en flexion : libération postérieure étendue,
libération des tissus mous et parfois recoupe osseuse (schéma 3).
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Schéma 3 |
Mise en place de la prothèse et resurfaçage de la rotule (figure 4 a et b).
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Figure 4 a & b |
En post opératoire il est débuté une rééducation intensive. Pour les
ankyloses en flexion, le Pr. LU a parfois recours a des tractions
continues.
Cas clinique
Que peut-on proposer à ce patient de 20 ans qui souffre de
spondylarthrite ankylosante et dont les deux hanches et les deux genoux
sont ankylosés ?
On note également une amyotrophie majeure des muscles des membres inférieurs (figure 5).
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Figure 5 |
Fusion des deux hanches et des deux genoux. En soulevant les pieds du malade on décolle son bassin du lit (figure 6).
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Figure 6 |
Fusion des 2 articulations coxo fémorales, arc de mobilité nul dans tous les plans (figure 7).
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Figure 7 |
Fusion des 2 genoux avec subluxation fémoro tibiale postérieure (figure 8).
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Figure 8 |
La solution retenue a été la mise en place en un seul temps
opératoire de 2 prothèses totales de genou et de 2 prothèses totales de
hanche (figure 9 a, b, c).
Deux semaines plus tard, le malade a pu être verticalisé et la rééducation entreprise (figure 10).
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Figure 10 |
Le malade a été revu à 9 ans, il va bien sur le plan clinique.
On note une flexion du genou droit à 90° et à gauche de 110°. Pas de flexum.
Excellente mobilité des hanches et disparition de l’amyotrophie.
Quelques douleurs résiduelles.
Reprise d’une vie normale (figure 11).
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Figure 11 |
Sur le plan radiologique on note cependant un liseré important au
niveau du plateau tibial gauche et également à droite dans une moindre
mesure (figure 12 a et b).
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Figure 12 a & b |
Conclusion
On dit souvent, dans les arthroplasties du genou pour raideur, que
l’arc de mobilité post opératoire est décevant et le flexum est
difficile à réduire. L’expérience du Pr. LU montre qu’il n’en est pas
toujours ainsi. En effet, il a pu restituer des mobilités étonnantes à
des patients qui restaient fixés depuis des années. Plus surprenant
encore, sur les 38 ankyloses en flexion qu’il a opéré, on n’observe que
2 flexum résiduels.
Le Pr. LU insiste sur la difficulté de ces interventions pour
lesquelles il faut effectuer des libérations majeures tout en
préservant au maximum le capital osseux. Le taux de complication reste
modeste malgré l’importance des gestes.
Même si ces opérations sont lourdes et la rééducation longue et
difficile, le bénéfice pour les patients «statues de terre cuite» est
majeur, avec pour bon nombre d’entre eux un retour à une vie presque
normale.