Auteur :
Paul Wiener
La constitution de la personnalité professionnelle en médecine 2/2
Comment s’identifier aux enseignants ?
Dans un premier texte j’ai rappelé la fonction de l’identification dans la constitution de la personnalité. Ensuite j’ai discuté la notion de la personnalité professionnelle et le rôle de l’identification au malade et au médecin dans l’enfance ou au cours de l’adolescence comme préalable fréquent du choix ultérieur de la profession médicale. Ici j’en arrive à la formation de la personnalité professionnelle médicale au cours des études.
Sommaire
- L’IDENTIFICATION AU MEDECIN ENSEIGNANT
- LES DEFENSES PSYCHOLOGIQUES ACTIVES DANS L’EXERCICE DE LA MEDECINE
- LA CONSTITUTION DE LA PERSONNALITE PROFESSIONNELLE
L’IDENTIFICATION AU MEDECIN ENSEIGNANTL’évolution de la formation de la personnalité professionnelle de l’étudiant passe par la médiation de l’enseignant. L’enseignant, médiateur entre l’étudiant et le malade, est censé fournir un nouveau modèle d’identification. Apparemment rien n’est plus simple ; un étudiant sans fardeau névrotique excessif accepte tout modèle d’identification médicale convenable et accède par son entreprise à l’indépendance professionnelle. La communauté des désirs entre étudiants et médecins enseignants s’exprime par le projet professionnel. Le plus souvent les études se se font sans accroc.
Cependant cette évolution peut-être compromise. Tout se passe dans les mauvais cas comme si les enseignants en contact immédiat avec les étudiants étaient inaptes à faire office de modèle professionnel, même transitionnel. Dans ces cas les tentatives d’approche des étudiants, aux cours des premières années, ont échoué. On peut se demander parfois si les jeunes enseignants eux-mêmes ne se trouvent pas dans une relation conflictuelle avec leurs aînés. Si tel était le cas, nous serions en présence d’un trouble généralisé de la chaîne d’identification, de ces liens qui devraient exister dans toute collectivité éducative saine regroupant dans une hiérarchie des générations différentes.
Il est possible d’y voir l’évitement de l’Oedipe, théorie citée dans la première partie de ce travail, ainsi qu’un refus du processus de la maturation à la faveur d’un désir de régression narcissique fusionnelle.
Quelles sont les causes de l’échec dans la relation étudiant enseignant ? Celles que nous avons reconnues se groupent en cinq catégories :
Les difficultés personnelles des étudiants ou des enseignants.
Le refus des modèles accessibles de servir de support d’identification (refus réel ou supposé).
Le manque de contact véritable entre étudiants et enseignants.
L’existence de modèles d’identification insuffisamment adaptés.
Le manque de maturité professionnelle des étudiants.
[1]
Nous n’insisterons pas sur les difficultés personnelles. Névroses, inhibitions, immaturité émotionnelle sont courantes. Comme partout dans l’enseignement supérieur, les capacités intellectuelles des étudiants sont suffisantes mais ceux-ci ne possèdent pas toujours la structure psychique adaptée à l’exercice de la profession choisie.
Le refus des modèles d’identification disponibles : De rares membres de la hiérarchie médicale hospitalière qui participent en principe tous à l’éducation des étudiants refusent parfois, plus ou moins ouvertement, de s’impliquer dans une relation pédagogique. "Moi, les médecins qui m’envoient balader quand je pose une question, je n’apprécie pas plus que ça..." (blog d’une externe) "La majorité des étudiants déplorent un manque de pédagogie et d’encadrement de la part des maîtres de stage et un manque d’intérêt de ceux-ci pour l’enseignement ...... Les étudiants se sentent isolés et délaissés en stage et préfèrent souvent quitter leur service tôt pour rejoindre leurs livres." "Les étudiants sont déçus du climat qui règne dans le secteur hospitalier, entre les médecins déshumanisés et ...... des patients devenus vindicatifs et très exigeants, ..." [2].
Dans ces conditions comment vouloir ressembler à quelqu’un qui vous rejette ? Au pire on observe une réédition de l’identification à l’agresseur, observée dans le jeu du docteur de l’enfant. La nature de la relation ainsi élaborée sera sado-masochiste et peu compatible avec une relation didactique saine. La grande majorité des enseignants n’est d’ailleurs pas rejetant. Nous étions cependant obligés de constater qu’ils peuvent être vécus ainsi par les étudiants. Pour expliquer cet état de chose nous avons dû invoquer l’existence d’une projection. L’étudiant incapable sans aide de maîtriser puis d’intégrer sa propre agressivité la projette sur l’enseignant. La réalité se couvre ainsi d’une couche de fantasmes agressifs.
Le manque de contact entre étudiants et enseignants a souvent été dénoncé. Sans lien didactique personnel entre enseignants et élèves la médecine ne peut s’enseigner. La meilleure des réformes échouera sans l’établissement d’une relation maître-élève authentique et directe. Par maître nous entendons bien le médecin expérimenté. Les autres ne peuvent être que des médiateurs. La disproportion entre le nombre restreint de ceux-ci et la multitude des étudiants n’est que trop connue.
Classiquement deux modèles sont possibles : Le médecin-chef de service et le généraliste. La personnalité du généraliste est reconnue autonome et indépendante. En effet, il doit fournir d’emblée, dès le premier jour de sa vie professionnelle un effort d’organisation constante pour réaliser les conditions favorables à l’exercice médical. Il construit lui-même son environnement professionnel fait d’un cabinet bien équipé, de réseaux de consultations spécialisés, de laboratoires convenables et d’hôpitaux ou cliniques de référence. L’acte médical pratiqué par le généraliste réunit en un laps de temps très court tous les moments de la démarche habituelle.
Il comporte, si possible, un diagnostic, toujours un traitement et surtout une idée très claire de la conduite à suivre en fonction de laquelle le généraliste fixera la date de la consultation prochaine et évaluera les limites de ses possibilités thérapeutiques. Un généraliste doit toujours savoir ce qu’il va faire pour son malade et ceci pratiquement sans délai de réflexion. Par contre l’acte médical hospitalier se décompose facilement en ses différents épisodes : observation initiale, examens physiques et complémentaires, diagnostic, traitement, chaque moment pouvant faire appel à des spécialistes différents. Une dimension essentielle de la médecine praticienne, l’organisation d’une démarche risque de disparaître, bien que chaque étape gagne en complexité. De nos jours, la carrière hospitalière reste réservée au petit nombre.
Les problèmes que rencontre actuellement l’enseignement universitaire de la médecine générale et le grand nombre de places d’interne restant disponible dans cette discipline témoignent de ces difficultés. Les étudiants eux-mêmes qui sont, par ailleurs prêts à l’admirer, ne semblent pas vouloir substituer l’image du généraliste à celles du patron inaccessible ou à celui du spécialiste dont le statut reste attractif. Quel est le pourcentage des étudiants qui veulent devenir spécialistes ? En 1968 il était de 60%. En 2005 les trois quarts sont toujours attirés par une spécialité médicale ou chirurgicale. Encore presque la moitié des étudiants souhaite exercer à l’hôpital [3]. L’image du spécialiste a-t-elle une valeur structurante comparable à celles du Patron ou du Généraliste ? Les médecins hospitaliers sont souvent spécialisés mais est-ce qu’ils se considèrent vraiment comme des spécialistes ? La vogue de la spécialisation, en plus de l’attrait pécuniaire en ville, est peut-être liée du point de vue psychologique aux défauts de l’intégration pulsionnelle : les spécialistes sont en effet, comme le notent Missenard et Gelly, davantage articulés sur une pulsion partielle dominante [4].
Ce décalage entre personnalité professionnelle réelle souhaitable, correspondant à l’exercice à venir et les modèles d’identification proposés et acceptés constitue un des défauts de l’enseignement médical traditionnel.