Très peu de femmes purent contribuer aux mathématiques jusqu'au XXe siècle. Les études poussées ne leur étaient pas accessibles. Il n'était pas de bon ton pour une femme d'étudier les mathématiques... Pourtant quelques unes se battirent contre les institutions et persévérèrent dans leurs études. Souvent elles s'opposèrent à leur propre famille pour apprendre les mathématiques. Certaines durent prendre de fausses identités et travailler dans l'isolement intellectuel. Ces femmes influencèrent significativement le cours des mathématiques. Elles modifièrent la perception du monde sur le rôle intellectuel des femmes. En voici quelques unes.
Hypatie (Alexandrie 370 ? - Alexandrie 415) philosophe (école Platonicienne), astronome et mathématicienne grecque. Célèbre tant pour son intelligence que pour sa beauté.
Elle est née à Alexandrie à l'époque des luttes de pouvoir entre les Romains et les activistes chrétiens. Son père Théon d'Alexandrie est mathématicien et astronome respecté. Lorsqu'il s'aperçoit des dons de sa fille, il lui donne un enseignement bien qu'à cette époque on se soucie peu de l'éducation des femmes.
Ses œuvres sont toutes perdues. Seules subsistent quelques lettres adressées par Synésius à Hypatie lui demandant conseil pour la construction d'un astrolabe et d'un hydroscope.
Elle fait ses études de sciences, de philosophie et d'éloquence à Athènes, avant de revenir se fixer à Alexandrie où elle ouvre une école. Elle y commente Platon et Aristote ainsi que les œuvres de grands mathématiciens : Diophante, les Sections coniques d'Appolonios de Perga, les Tables de Ptolémée. Hypatie est un professeur charismatique respecté et est appréciée de tous ses étudiants. Elle est connue comme la meilleure pour résoudre des problèmes.
Malheureusement les premiers chrétiens identifient ses idées scientifiques au paganisme. L'évêque Cyrille d'Alexandrie la perçoit comme un danger pour la pensée chrétienne. Elle meurt massacrée avec des coquilles d'huîtres par la foule excitée contre elle par des moines. Une autre version raconte que sa mort "déchiquetée" serait due à une secte dionysiaque survivante...
Sa mort horrible contrecarre la liberté d'éducation pour de nombreuses années. Les mathématiques entrent dans une période de stagnation, et ce n'est qu'après la Renaissance qu'une autre femme Maria Agnesi, se fait un nom comme mathématicienne.
"Le monde actuel des mathématiques a une grande dette envers Hypatie... Au moment de sa mort, elle était le plus grand mathématicien du monde gréco-romain, voire du monde entier. " M.Deakin, American Mathematical Monthly, 1994
Maria Agnesi (Milan 1718 - Milan 1799) philosophe mathématicienne et polyglotte érudite.
Elle est la fille très douée d'un professeur de mathématiques de Bologne.
Maria Gaetana Agnesi fait preuve dès son plus jeune âge de talents exceptionnels. A 9 ans elle rédige en latin un discours pour la défense du droit à l'éducation supérieure. Pendant son adolescence elle étudie seule les mathématiques de Descartes, Newton, Leibniz et Euler. Elle sert également de précepteur aux plus filles jeunes enfants de sa famille et est hôtesse dans des rencontres scientifiques et mathématiques organisées par son père.
En 1738 elle publie un traité de philosophie Propositiones Philosophicæ et en 1748 un ouvrage en deux volumes de géométrie analytique Instituions Analitiche ed uso della gioventù italiana. Le premier volume traite d'algèbre et de précalcul, le deuxième présente le calcul différentiel et intégral, les séries infinies et les équations différentielles. Elle y étudie entre autres la courbe cubique qui porte son nom (appelée sorcière d'Agnesi, suite à une malheureuse traduction anglaise : witch of Agnesi pour versiera ou bien versare en italien qui signifiait soit courbe soit sorcière...).
Maria est élue membre de l'Académie des sciences de Bologne. Elle obtient en 1749 une chaire à l'université de Bologne, situation exceptionnelle puisque très peu de femmes étaient autorisées à suivre les cours de l'université. Mais elle refuse ce poste et après la mort de son père en 1752, elle consacre sa vie aux études religieuses et à des oeuvres de charité ; elle devient en 1771 directrice de l'institution caritative Pio albergo Trivulzio où elle termine sa vie.
Monsieur LE BLANC était une femme...
Sophie Germain (Paris 1776- Paris 1831) apporte des contributions majeures à la théorie des nombres, l'acoustique et l'élasticité.
A 13 ans, Sophie lit l'Histoire des mathématiques de Montucla relatant la mort d'Archimède : absorbé par un problème de géométrie il ne s'est pas rendu compte que les romains prenaient Syracuse ; il n'a pas répondu aux questions d'un soldat romain qui le transperça d'un coup de lance.
Emue par cette histoire elle se dit que les mathématiques devaient être un sujet vraiment passionnant pour qu'Archimède puisse ainsi ignorer le soldat romain. Ses parents trouvent déplacé son goût pour les mathématiques et elle étudie en secret la nuit sous ses couvertures avec des bougies. Finalement ils la laissent apprendre en réalisant qu'il s'agit d'une passion. Elle obtient les notes des cours de l'Ecole polytechnique notamment ceux de Lagrange. Elle utilise alors le pseudonyme de M. Leblanc pour lui soumettre un article dont l'originalité et la profondeur poussèrent Lagrange à chercher désespérément son auteur. Celui-ci la rencontre et il est stupéfait de découvrir une femme. Il la présente alors à la communauté scientifique qui l'apprécie pour sa compétence mais aussi pour son charme.
Elle parvient également à entrer en contact avec Gauss dont elle a lu les Disquisitiones Arithmeticæ, avec lequel elle correspond toujours sous le pseudonyme de M. Leblanc.
Elle obtient en 1816 un prix de l'Académie des sciences pour un mémoire sur la théorie mathématique des vibrations des lames élastiques. Elle ne viendra pas le chercher... Celle qui signe toujours sous un pseudonyme masculin sait combien le génie s'accommode mal de la glorification. Elle introduit en 1831 la notion de courbure moyenne comme moyenne arithmétique des deux courbures principales. Elle travaille en théorie des nombres et, en arithmétique. Elle prouva que si x,y et z sont entiers et si x5 + y5 = z5, alors soit x, soit y, soit z doit être divisible par 5. Le "théorème de Germain" fait un pas important vers la preuve du Grand Théorème de Fermat pour le cas où n vaut 5. Ceci reste le résultat le plus important lié au grand Théorème de Fermat (1738) jusqu'à la contribution de Ernst Eduard Kummer en 1840.
Sophie continue à travailler jusqu'à la fin de sa vie sur les mathématiques et la philosophie. Elle décède le 27 juin 1831, victime d'un cancer du sein.
Il a fallu des instances réitérées de Gauss pour que l'Université de Göttingen consente à lui décerner enfin le titre de Docteur Honoris Causa.
Le Grand Théorème de Fermat : si x, y, z et n sont des entiers positifs, alors xn + yn = zn n'a pas de solution pour n>2 .
Un nombre premier de Sophie germain est un nombre premier n tel que 2n+1 le soit aussi.
Sofia Kovalevskaya (Moscou 1850 - Stockolm 1891) mathématicienne, romancière et avocate des droits de la femme au 19ème siècle, appelée aussi Sonia Kovalevski ou Sofya Kovalevsy ou Kovalevskia selon la traduction du russe. Elle est née d'une famille de l'aristocratie russe.
Elle apporte des contributions de valeur à la théorie des équations différentielles (Zur Theorie der partiellen Differenziall-Gleichungen, 1875). Elle est lauréate en 1888 de l'Académie des sciences pour un mémoire sur le mouvement d'un solide ayant un point fixe (Acta mathematica).
Elle tombe très jeune amoureuse des mathématiques. A 11 ans elle accroche aux murs de sa chambre des papiers couverts de calculs mathématiques. Son attrait pour les mathématiques est si intense qu'elle commence à négliger les autres études et son père décide de mettre un terme à ses leçons de mathématiques. Cependant elle lit secrètement des livres de mathématiques tard dans la nuit. A 18 ans elle épouse le paléontologue Vladimir Kovalevski. Elle persuade la direction de l'université de Heidelberg de la laisser suivre officieusement les cours (les femmes n'en avaient pas le droit...). Tous ses professeurs sont enchantés de cette étudiante si douée. Elle étudie en 1871 à Berlin avec Weierstrass qui lui accordait une attention personnelle car une fois de plus elle n'était pas admise à l'université. Elle résolut un cas des équations de Lagrange qui avait échappé à Weierstrass. Elle obtint son doctorat de l'université de Göttingen en 1874 sur les équations différentielles. Cependant en tant que femme elle ne put obtenir un poste académique. Ce rejet l'accabla et elle ne fit plus de recherche pendant 6 ans. En 1882 , elle écrivit 3 articles sur la réfraction de la lumière. A la mort de son mari en 1883 elle s'installa à Stockholm. Elle donne quelques conférences à l'université et y obtient un poste de professeur en 1889, alors que sa renommée est faite.
Elle mourut prématurément d'une pleurésie.
Pour en savoir plus :
KOVALEVSKAIA L'aventure d'une mathématicienne de Jacqueline DETRAZ 1999 Belin Collection UN SAVANT UNE EPOQUE
Emmy Nœther (ou bien Nöther ; Erlangen 1882- Bryn Mawr Pennsylvanie1935).
elle est surtout connue pour ses contributions à l'algèbre abstraite et en particulier pour son étude des "conditions en chaîne des idéaux dans les anneaux".
Fille du mathématicien Max Nœther, elle suit en auditeur libre des cours à l'université d'Erlangen où enseigne son père, car les filles ne peuvent s'inscrire dans l'enseignement supérieur. En 1903, elle se spécialise en mathématiques.
Elle passe une thèse sur les invariants algébriques sous la responsabilité de Gordan. Son travail sur la théorie des invariants conduit à la formulation de plusieurs concepts de la théorie générale de la relativité d'Einstein.
En 1915, elle découvre un résultat très profond, loué par Einstein, de physique théorique, parfois appelé Théorème de Nœther prouvant une relation entre les symétries en physique et les principes de conservation.
On doit à Emmy Nœther et Jean Cavaillès, une édition qui paraît en 1937, de la correspondance entre Georg Cantor et Richard Dedekind : série de lettres, de 1872 à 1899, qui permet de suivre la genèse de la théorie des ensembles.
En 1933, les nazis provoquèrent son renvoi de l'Université de Göttingen parce qu'elle était juive. Plus tard, elle donne des cours à l'Institut des études avancées de Princeton. Elle meurt en 1935 des suites d'une opération bénigne.
En tant que femme, Emmy subit de nombreuses critiques désagréables sur son apparence. Son génie mathématique ne faisant aucun doute, sa candidature au titre de Privatdozent de l'université de Göttingen souleva une forte opposition : "Une femme professeur, c'est impensable ! ". Hilbert s'adressa alors à l'assemblée : " Messieurs, je ne vois pas en quoi le sexe d'un candidat est un argument contre son admission. Après tout, l'Université n'est pas un établissement de bains." Cependant l'habilitation ne fut pas accordée. Hilbert contourna la difficulté en annonçant une série de cours sous le nom du professeur Hilbert, cours qui furent assurés par Fräulein Nœther."
David Hilbert, 1899, cité par Renate Tobies : "'Beaucoup d'entre vous, Messieurs, ne sont pas favorables à ce que les femmes suivent des études supérieures.
Mais en ce qui concerne les mathématiques, je vous prierai de faire abstraction de votre aversion".
Einstein : "le génie créatif le plus significatif en mathématiques produit à ce jour depuis..."
Jean-Pierre Boudine (Quadrature, Tangente, Kangourou etc...) m'écrit qu'il est relativement à l'honneur des grands mathématiciens d'avoir régulièrement défendu les mathématiciennes : Gauss pour Germain, Weirstrass pour Kovalevska, Hilbert pour Nœther... Mittag Leffer (1846 1927) a soutenu Martie Curie quand elle a failli gâcher son second NOBEL pour une pauvre histoire d'adultère avec Langevin.
Ayons aussi une pensée pour les femmes qui n'ont pas eu la chance d'avoir un père mathématicien ou un quelconque soutien.