Le colloque « Histoire de l'embryologie et de l'évolution », s'est déroulé le 22 mars 2007 » à l'Université Lyon 3, de 9 h à 18 h. Cette journée a permis de resituer le rôle de quelques scientifiques lyonnais ou ayant résidé à Lyon autour de l'embryologie et de l'évolution.
Jean-Louis Fischer, CNRS, Centre Alexandre Koyré, a d'abord évoqué la rencontre de Chabry et de Bataillon à Lyon, autour de l'embryologie expérimentale. A Lyon, de 1888 à 1890, Laurent Chabry est maître de conférences dans le service de zoologie du professeur Henri Sicard et rencontre Eugène Bataillon, son cadet, préparateur de zoologie dans le même service : deux figures qui ont marqué l'embryologie expérimentale. Chabry, en fondant la science du blastomère (1887) et Bataillon, en élaborant une théorie de la fécondation déduite de l'analyse de la parthénogenèse traumatique (1910-1911).
La découverte de la double fécondation chez les plantes à fleurs et de ses conséquences en termes d'embryogenèse, a été en grande partie réalisée, puis généralisée à l'ensemble des plantes à fleurs, par le français Léon Guignard. Il fut pendant quelques années professeur d'université à Lyon ainsi que directeur du jardin botanique avant d'occuper une chaire à la faculté de pharmacie de Paris puis, quelques années plus tard, d'être élu membre de l'Académie des sciences avant d'en être son président.
Christian Dumas, Professeur à l'Ecole Normale Supérieure de Lyon, resitue la découverte de ces deux fécondations simultanées. La première donne naissance à une cellule - oeuf à l'origine de la future plante ; la seconde, à l'albumen, embryon surnuméraire bourré de réserves, qui sert de nourrice au premier embryon dans les tout premiers stades de son développement. Ces deux embryons ne résultent pas de fécondations identiques car les cellules sexuelles impliquées sont très différentes.
La troisième conférence de la journée portait sur les expériences de néoténie expérimentale menées par Michel Delsol, Professeur à l'Université Catholique de Lyon, vers 1950. Jean-Marie Exbrayat, (Professeur, Université catholique de Lyon et directeur de recherches à l'EPHE), resitue ces travaux : Le phénomène biologique de néoténie caractérise des animaux ayant atteint la maturité sexuelle tout en conservant des caractéristiques larvaires. La néoténie est particulièrement visible chez les amphibiens et les scientifiques furent intrigués par ce phénomène dès la première moitié du XXème siècle, à la suite de l'observation, au Muséum d'Histoire Naturelle de Paris, d'axolotls ramenés de l'expédition mexicaine du Second Empire et qui se révélèrent être des salamandres américaines du genre Ambystoma. Cet animal, précédemment découvert par Humbolt lors de son séjour au Mexique (1803) et décrit par Cuvier (1811) est une salamandre qui, dans les conditions normales, conserve sa forme larvaire tout au long de sa vie. Par ailleurs des têtards géants d'amphibiens observés à l'état naturel ont été décrits par Jensen (1920) et d'autres auteurs. Des expérimentations menées au début du XXème siècle dont le but était de comprendre le déterminisme de la métamorphose, ont également été menées.
Pour comprendre ce phénomène, des essais de néoténie expérimentale ont été effectués en France, avant 1950, par Michel Delsol qui, utilisant des molécules antithyroïdienne récemment découvertes, est parvenu à bloquer la métamorphose tout en n'empêchant pas le développement des gonades chez Discoglossus pictus, un amphibien anoure qui ne présente normalement jamais de néoténie au cours de sa vie. L'étude de l'hypophyse a également montré des variations cytologiques chez les animaux soumis aux antithyroïdiens. Par la suite, des études ont montré des modalités différentes du développement des gonades chez les anoures et les urodèles. Le cas particulier de l'axolotl a également été examiné à cette même période. Enfin, dépassant le cadre proprement expérimental, ces travaux ont laissé supposer que la néoténie pouvait être un des phénomènes intervenant au cours de l'évolution animale.
Un autre naturaliste lyonnais, Georges Coutagne (1854-1928) s'est intéressé aux grandes questions de biologie générale, touchant en particulier la notion d'espèce et la génétique mendélienne. Avec Yves Delage, il est l'un des scientifiques qui s'est le plus démarqué des autres néo-lamarckiens au début du XXè siècle et sa contribution, quoique encore peu connue, est très originale comme en a témoigné William Bateson.
Frédéric Vivien et Cédric Audibert (Muséum d'Histoire naturelle de Lyon) présentent le personnage de Georges Coutagne, dans un contexte néo-lamarckien et jordanien (dans le cadre de l'histoire scientifique lyonnaise). Ils expliquent que la pensée scientifique de Georges Coutagne s'articule autour de son point de vue personnel sur la théorie des caractères acquis, ses idées scientifiques sur la coenogénèse, sa théorie des memmons.
Coutagne est aussi connu pour avoir ré-expérimenté les lois de Mendel chez le Ver à soie et chez les plantes. Sa démarche expérimentale se comprend dans le cadre d'une transition historique entre le Néolamarckisme, les apports de Weissmann, la génétique mendélienne classique.
Toujours dans le contexte néolamarckien du début du XXème siècle, Laurent Loison (doctorant, Université de Nantes) présente la question de l'hérédité de l'acquis dans la conception transformiste de Maurice Caullery. Maurice Caullery (1868-1958), fut maître de conférences à la Faculté des sciences de Lyon, en remplacement de Félix Le Dantec, de 1896 à 1900, avant d'être nommé à Paris. Titulaire pendant plus de trente ans de la chaire d'Evolution des êtres organisés de la Sorbonne (1909-1940), il fut un personnage central de la biologie française de la première moitié du XXe siècle.
Sa conception du mécanisme lamarckien va connaître de profondes modifications à partir du milieu des années 1910. Il s'agit d'un moment de rupture entre deux périodes assez nettement distinctes du courant néo-lamarckien français. Caullery rejettera l'explication de l'évolution dans une nature passée et révolue. L'évolution devient un processus fondamentalement discontinu et irréductible aux phénomènes que le savant peut mettre en évidence dans la nature actuelle. Le statut revendiqué du Néolamarckisme change alors radicalement : d'une hypothèse susceptible d'être soumise à l'expérimentation il devient une hypothèse « métaphysique », l'hérédité de l'acquis étant inopérante dans la nature actuelle et invérifiable par l'examen des archives fossiles.
Christian Bange, (Professeur honoraire, Université Lyon 1) présente ensuite les travaux de Raphaël Dubois et l'apparition de la fonction photogénique au cours du développement. Raphaël Dubois (1849-1929), professeur de physiologie générale à la Faculté des sciences de Lyon de 1887 à 1920, est resté célèbre pour ses travaux sur la biophotogenèse (production de lumière par les êtres vivants) : il montra en 1884 que ce phénomène est dû à l'action d'une enzyme, qu'il nomma par la suite luciférase, sur un substrat, la luciférine, en présence de divers facteurs, et il réussit à reproduire ce phénomène dans un tube à essai. Ses premiers travaux ont porté sur des insectes lumineux des Antilles, mais il a rapidement étendu ses recherches à d'autres groupes zoologiques et il établit, dans près de 200 publications, l'ubiquité de ce mécanisme chez un grand nombre d'êtres vivants, malgré une grande diversité dans la morphologie des appareils photogènes. A une époque où l'on n'admettait pas que les manifestations vitales puissent être produites en dehors de l'être vivant, une telle découverte eut un grand retentissement et elle contribua à asseoir une théorie mécaniste des phénomènes vitaux. Dès le début de ses recherches sur la biophotogénèse, Dubois s'est intéressé aux aspects ontogéniques de la fonction photogénique. Il a suivi le développement des appareils photogènes chez les larves d'insectes, et le fait que les oeufs non fécondés puissent être bioluminescents l'a conduit à exclure l'hypothèse que la production de lumière puisse être de nature purement mécanique et à s'interroger sur la transmission héréditaire du pouvoir photogène. D'autre part, il a localisé les réactions photogènes dans ce qu'il a appelé les vacuolides (dans lesquelles il convient de reconnaître les organites intracellulaires nommés depuis mitochondries), et il a élaboré une théorie du "bioprotéon".
L'intervention concluent cette journée fut donnée par Michel Delsol, Professeur honoraire, Université catholique de Lyon, directeur de recherches honoraire à l'EPHE, autour de « Embryologie et évolution, perspectives épistémologiques ». L'auteur traita essentiellement des relations chronologiques entre l'embryologie et l'évolution. Il prend position pour une place située entre Haeckel qui défend naïvement le concept de loi génétique fondamentale pour la palingenèse et De Beer, qui nie la palingenèse et considère qu'il y a seulement dans la phylogenèse évolutive des hétérochronies. Michel Delsol démontre la réalité en concomitance de ces deux phénomènes dans l'évolution